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Cognac juillet 2004, j'ère à travers les rues de
la ville, le festival Blues Passions bat son plein
.
Au détour d'un chemin, d'un " crossroad ",
je tombe nez à nez avec l'un des guitaristes-chanteurs les
plus doués de sa génération, Franck Ash.
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Nous nous étions croisés sur plusieurs concerts et j'avais
réalisé quelques années auparavant une interview
pour l'émission " Route 66 " ainsi que pour le
quotidien " Les Dernières Nouvelles d'Alsace "
(voir retranscription sur ce site).
Nous sentons rapidement que notre discussion mériterait de durer
un peu plus longtemps, rendez-vous est pris pour un nouvel entretien
.
Le lendemain, dans le salon d'un hôtel, à deux pas de la
place François 1er je mets en marche mon enregistreur.
La discussion est longue, Franck se livre, très vite je me rends
compte que ce moment aura plus sa place dans le cadre d'un reportage spécial
que dans une retranscription d'interview, le voici
.
Dans un premier temps, l'artiste parle des difficultés rencontrées
pour la sortie de son dernier album en date et évoque la "
régression de travail " constatée par les musiciens.
Très vite nous tombons d'accord pour dire que les gens ne sortent
plus que pour voir des noms connus, des gens qui passent à la télévision.
Nous réagissons également au manque d'exposition donné
parfois par les distributeurs par rapport à certains albums qu'ils
éditent " Veulent-il vraiment gagner de l'argent ? ",
alors que des " artistes des rues ", qui s'auto-produisent
arrivent à en écouler des dizaines de milliers (voir par
exemple l'interview de Richard Johnston sur ce site).
La discussion devient quasi philosophique, nous nous posons des questions
auxquelles nous avons du mal à trouver des réponses quant
à la situation du blues aujourd'hui. Franck avoue : " J'habite
à Londres, une ville 5 fois plus grande que Paris et il ne s'y
passe rien, il n'y a de place que pour la musique branchée. Tu
n'y trouves que 2 clubs de jazz, des grands noms qui auraient joués
dans des salles de 3000 places il y a dix ans se produisent de nos jours
dans des clubs de 250 places, c'est incroyable ".
Nous finissons par nous poser une question sur le blues en lui même,
n'avons nous pas fait le tour de la question ? Reste t-il beaucoup de
groupes intéressants ?
Franck se lâche " Je vais être franc, au bout d'un
moment, je n'ai plus envie d'écouter pour la énième
fois des grands classiques qui peuvent être massacrés, j'ai
envie d'écouter quelque chose de nouveau. Les grands noms qui sont
au " Musée Grévin du blues ", tels que
T.Bone Walker étaient des créateurs, les initiateurs d'un
style avec du charisme, ils amenaient leur pierre à l'édifice
! ".
Je demande à l'artiste si cette frustration ne serait pas due au
fait que son environnement familial lui a permis de voir toutes ces légendes
dès son plus jeune âge.
Il rétorque " C'est vrai, dès 1968 jusqu'à
1988, j'ai dû voir tous les concerts de blues parisiens en étant
" backstage " après, cela joue peut-être
".
Franck devient incisif " Je me demande si tous les amateurs de
blues, les magazines spécialisés, les animateurs de radio
n'ont pas enterré cette musique. Ils ont enfermés cette
musique dans un purisme exacerbé, prolongeant l'idée du
blanc et du noir, le blues est une musique internationale, il faut combattre
ces idées, qui sont du racisme ! Ces gens là ont mis le
blues dans un moule sans prendre le risque de faire découvrir des
choses nouvelles aux gens. Pour être franc, il y a des festivals
où on s'emmerde, entendre dix fois " Sweet Home Chicago "
dans la même soirée c'est devenu " casse-couilles "
! Le blues, à mon avis, ne peut plus se permettre d'être
une musique uniquement fondée sur le feeling. La musique est une
chose rigoureuse. On peut faire, à partir de sentiments difficiles
et de la douleur, de grandes choses. Bien que le blues ne doit pas être
fondé sur la douleur, être un être humain est déjà
assez douloureux comme cela, pourquoi toujours en rajouter ? On a donné
au blues une idée de looser sans vouloir la faire évoluer,
il y en a assez des talibans du blues qui ont pris le pouvoir dans certains
journaux ! Ce n'est pas parce qu'on est érudit qu'on est intelligent
; ce n'est pas parce qu'on peut pondre une discographie complète
sur tel ou tel artiste qu'on a une approche intelligente ou esthétique
".
L'artiste m'affirme aussi vouloir s'adresser aux gens qui n'ont pas forcément
de grandes connaissances dans la musique et souhaite que le blues retrouve
un peu de naïveté.
Il se réjouit de la présence de Tony Joe White à
Cognac et regrette que George Clinton reste ancré dans ses vieilles
habitudes " Le funk aujourd'hui c'est Prince, car lui vit dans
son époque ". Lorsque je lui demande ce qu'il écoute
actuellement, Franck reste perplexe et réaffirme sa passion pour
Robert Cray même si ses deux derniers disques le touchent moins.
C'est à ce moment-là que l'autonomie de mon enregistreur
MD arriva à sa fin
.
Nous continuâmes à discuter un long moment avant que des
amis ne viennent chercher celui qui fût le guitariste du grand Screamin'
Jay Hawkins et qui avait décidé pour cette nouvelle participation
au Cognac Blues Passions de mettre son talent au service de jeunes musiciens
dans le cadre d'un " atelier " blues particulièrement
réussi.
Franck Ash, un artiste au service de son public, diffusant autour de lui
musique, sincérité et surtout énormément de
respect.
Je vous conseille tous ses albums.
David BAERST.
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